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Le concept de War Room

Dans un contexte de compétition exacerbée, les entreprises puisent leur inspiration dans la stratégie militaire

Dans un contexte de plus en plus complexe et de guerre économique larvée, les entreprises n'hésitent pas à emprunter des idées aux stratèges militaires. C'est ainsi le cas de la War Room, utilisée pendant la Seconde Guerre Mondiale par Winston Churchill pour commander les opérations de l'armée anglaise. De nos jours, le terme recouvre plusieurs cas de figure. Certaines de ces salles d'opération ont vocation à gérer des situations ponctuelles, comme une crise ou un appel d'offres. D'autres sont installées plus durablement, pour permettre au comité de direction de suivre l'évolution de son entreprise et de faciliter la prise de décision. Elles peuvent également servir à entraîner les décideurs aux situations délicates, en simulant des crises ou en mimant le comportement d'un concurrent.

E n 1940, le ciel déverse des monceaux de bombes sur Londres. Le Premier ministre Winston Churchill organise la défense et la riposte, claquemuré sous terre dans un bunker de plusieurs kilomètres de couloirs avec ses principaux ministres et généraux. Le cœur du dispositif est une salle où les principaux décideurs se réunissent pour observer les cartes d'état-major, analyser les nouvelles du front, s'assurer des capacités de production, relever le nombre de morts et de blessés, et concevoir la stratégie de défense. la “War Room”.

Plus de 70 ans après Churchill, confrontés à une guerre économique et de l'information sans précédent, les dirigeants d'entreprise s'équipent, eux aussi, de leurs propres War Room, aussi nommées salles de décision ou cellule de crise, selon le contexte. Les parts de marché et le chiffre d'affaires par pays et par cible ont remplacé le nombre des morts et des blessés. La langue de l'entreprise est pleine de ces termes empruntés au lexique militaire et l'intelligence économique ne cesse de s'inspirer des techniques des services secrets. “Le monde a toujours été complexe. Mais l'entreprise n'a jamais eu autant besoin d'en tenir compte. Les marchés se sont mondialisés, les pays émergents sont entrés dans le jeu, les clients, les partenaires et les salariés n'ont jamais été aussi exigeants. Du coup, les dirigeants doivent être davantage à l'écoute de leur écosystème et améliorer leur capacité d'assimilation des informations qui leur parviennent” explique Alpha Diallo, fondateur de Help Management, agence conseil en stratégie et organisation. Mais le terme, quelque peu galvaudé, recouvre bien des réalités. Qu'est-ce qu'une war room. Quand la mettre en place. Que peut-on bien y faire ?

Cas extrĂŞmes
Pour les puristes, la war room ne sert qu'à gérer des situations exceptionnelles, dans des moments exceptionnels. Premier cas de figure, la war room défensive doit aider l'entreprise à traverser une crise. Au moment de la tempête de 1999, alors que plusieurs milliers de foyers sont privés d'électricité, EDF active sa war room. De même que Total qui, au moment du naufrage de l'Erika et de la marée noire, y a scruté de près les bulletins météo, les mouvements des plaques de fioul et l'état de la mer. Les groupes agroalimentaires les déclenchent dès qu'un produit se révèle nocif pour les consommateurs. “L'objectif est de protéger la marque, d'expliquer la crise aux journalistes pour qu'ils la comprennent et ne tapent pas trop durement” explique Benoît de Saint-Sernin, directeur de l'Ecole européenne d'intelligence économique (EEIE). Pour celui-ci, “les décisions ne doivent pas se prendre dans la war room, car l'ambiance y est électrique. C'est un brouhaha ou on y hurle des informations et où le stress est à son comble. Les décideurs doivent être isolés dans une pièce à l'écart, où ils peuvent réfléchir la tête froide”.

Les aspects pratiques et l'intendance ne doivent pas être négligés. Le pilote, nommé par le décideur, organise les roulements, s'assure de l'approvisionnement des membres de la salle en nourriture, et fait le nécessaire pour éviter qu'un black-out informatique ne vienne perturber l'opération. “Des cabinets extérieurs peuvent détacher sur place d'anciens militaires qui ont le sang-froid et l'expérience de ces situations pour faciliter la coordination” explique Benoît de Saint-Sernin. Choisir les membres autorisés à participer est un autre point délicat, puisque tout le monde veut en être. “C'est un motif d'orgueil, mais gare à ne pas laisser du politique s'y glisser, alerte le professeur. Il faut savoir faire le tri et ne choisir les participants que pour leurs compétences.”

La war room peut aussi être offensive. Certaines entreprises la mettent par exemple en place au moment où elles veulent prendre possession d'une entreprise concurrente, lancer un nouveau produit, ou pénétrer un marché. “Dans ce cas, le secret est de mise. Grâce à des procédures strictes, les entreprises s'assurent que rien ne filtre à l'extérieur de la war room, où seules quelques personnes bien choisies ont le droit de pénétrer et où toutes les communications avec l'extérieur sont cryptées et codées” révèle le directeur de l'EEIE. Certains prestataires, comme Kroll et CEIS (Compagnie européenne d'intelligence stratégique), sont appelés en renfort pour mettre sur pied et alimenter en informations ces cellules spéciales.

“Nous aidons par exemple une entreprise à identifier et choisir le bon partenaire pour s'implanter dans un nouveau pays” illustre Guillaume Tissier, directeur général de CEIS. “Les war room sont aujourd'hui de plus en plus prisées pour gérer de grands appels d'offres” ajoute Bertrand Debarge, associé fondateur du cabinet de conseil en organisation et management m2ie. Ainsi, pour centraliser les informations de ces projets aux multiples facettes et aux nombreuses phases, commerciaux, techniciens et experts viennent y partager leurs observations et prendre les décisions clés. Les industries de la défense et l'aéronautique sont coutumières de l'exercice. Afin de faciliter son entrée dans les pays d'Asie, L'Oréal a mis en place un dispositif proche de la war room, où le groupe de cosmétique analyse les mouvements de ses concurrents et les informations qui remontent de ses réseaux commerciaux.

La gestion du quotidien
A côté de ces war rooms déployées ponctuellement, certaines le sont de manière constante. Ainsi, les comités de direction ou les comités exécutifs se réunissent une fois par mois pour observer, dans une salle conçue pour cela, les 30 ou 40 indicateurs clés de l'entreprise, afin de prendre des décisions importantes pour son avenir. “La dimension guerrière s'atténue au profit du travail collaboratif fondé sur l'intelligence collective, pointe Alpha Diallo. La war room est l'un des outils qui favorisent la prise de décision en stimulant la créativité d'un groupe de personnes. Alors que l'électronisation de la relation humaine est défaillante, celle salle présente l'intérêt de favoriser la rencontre, l'émotionnel et l'échange.”

La conception de la salle est un moment décisif. Certains prestataires se sont d'ailleurs spécialisés dans cette mécanique de haute précision, comme Cockpit Group, qui commercialise des solutions inspirées des travaux du neurochirurgien Patrick Georges qui, en 1989, a créé “management cockpit”. “Le lobe frontal est la partie du cerveau où sont prises les décisions, explique Grégoire Talbot, qui a acheté le concept management cockipt en 2004. Le professeur Patrick Georges a étudié comment un groupe de lobes frontaux fonctionnait pour l'aider à prendre des décisions rapidement.” Les 20 experts de la société ont installé 200 cockpits en Europe. Parmi leurs références. Veolia, Accor ou encore Siemens. En pratique, la salle comporte quatre murs de couleur. un noir, sur lequel figurent les objectifs que l'entreprise s'est fixés ; un rouge, qui précise les facteurs externes ; un bleu, pour les facteurs internes ; un blanc, enfin, avec les grands projets qui font évoluer l'entreprise. Sur chacun, des indicateurs de performance. Ebitda, ventes, satisfaction clients, optimisation des risques, ressources humaines… Chaque indicateur est représenté par un visuel adapté. Chacun est aussi facile à comprendre que possible, grâce à l'usage de codes couleurs, de symboles, et à l'organisation des informations sur l'écran.

Les principaux bénéfices. “Cela permet d'anticiper les problèmes. Par exemple, lorsque le dispositif détecte et émet une alerte pour un problème d'absentéisme, cela peut être le présage du départ de personnes importantes pour l'entreprise. Du coup, on anticipe avec 6 mois d'avance une dégradation de la marge” assure Grégoire Talbot. Cela permet aussi de condenser les piles de rapports que le dirigeant reçoit chaque mois dans une seule fenêtre de visualisation. En outre, 25 % des indicateurs changent chaque année ; 60 % sont communs à toutes les entreprises, 20 % sont propres à un secteur d'activité, et 20 % à une stratégie d'entreprise.

La conception de la salle a aussi son importance. Steelcase, spécialiste de l'aménagement de bureau, a planché sur la question à l'occasion de la conception du nouveau siège de Vodafone aux Pays-Bas. “Il s'agit d'un lieu clos, sans fenêtre, qui dispose d'une table ronde pour favoriser les échanges entre les participants. Pour consulter les informations, chacun dispose d'un écran personnel, d'autres sont disposés sur les murs de la pièce, décrit Benjamin Girard, porte-parole de Steelcase. L'aspect managérial est aussi crucial, car c'est un lieu dédié à une équipe, qui doit se sentir unie, ce qui explique en partie les restrictions d'accès et la solennité du lieu.”

Il convient aussi de se montrer attentif aux méthodes d'animation du travail collectif. Ce qui peut se révéler une gageure. Alpha Diallo, d'Help Management, pose les termes du problème. “Lorsque l'on crée une war room, c'est que l'on souhaite résoudre un problème complexe dont personne n'a la solution seul, et pour lequel personne n'a l'ensemble des informations”. Mais les membres de l'équipe ont des cultures distinctes, des intérêts dans l'organisation parfois divergents et une vision différente. Quelles méthodes pour dépasser ces antagonismes. Outre la présence d'un bon animateur, il faut créer un climat de confiance, afin que chacun puisse s'exprimer, qu'aucune idée ne soit jetée a priori. Ensuite, les votes doivent être pondérés et croisés. Surtout, il est crucial de parvenir à une adhésion de chacun à la décision finale. Il n'y a rien de pire qu'une décision non partagée, même si elle est meilleure dans l'absolu, car certains risquent de se désolidariser, de jouer leur propre partition, alors que le consensus permet d'imprimer la dynamique collective nécessaire à la réussite de la décision.

L'entraînement
La guerre, même économique, est aussi affaire d'entraînement. C'est pourquoi la war room a aussi un usage plus ludique. “Il s'agit de réunir le comité de direction pendant deux heures dans une même pièce, et de le confronter à l'attaque violente d'un concurrent, un événement majeur, ou le doublement du prix de l'essence par exemple” explique Jean-Michel Huet, directeur associé chez BearingPoint. Puis, les consultants observent comment l'état-major de l'entreprise prend sa décision. ses membres vont-ils chercher les bonnes informations, se consultent-ils, est-ce un échange rationnel et collégial ?

“Nous avons simulé, pour un grand groupe européen dans les hautes technologies, l'attaque frontale d'un concurrent. Le comité de direction a mis en place une riposte certes rapide… mais en omettant les problèmes logistiques, puisque les composants en provenance d'Asie nécessitaient deux mois d'acheminement. Résultat, leur stratégie est tombée à l'eau” illustre Jean-Michel Huet. Certains secteurs sont plus friands que d'autres de ces “agility games”. banque, télécoms, sociétés de services “sont soumis à un fort jeu de concurrence, avec beaucoup de changements brutaux causés par l'environnement externe” remarque le consultant. Cela vaut aussi pour des entreprises qui mènent des activités dans des pays où l'incertitude est élevée, ou pour des groupes énergétiques qui doivent se préparer à une augmentation du prix des matières premières ou à une catastrophe. Dans la banque, l'énergie, les télécoms et l'industrie, des simulations sont aussi commandées lorsqu'un changement de réglementation est prévu, mais sans qu'on en connaisse la direction exacte. “S'entraîner permet de faire face à une crise avec davantage de sang-froid au moment où elle survient pour de bon” souligne Jean-Michel Huet.

A côté des “serious games” où des consultants alimentent les écrans des war room, le jeu peut aussi prendre une forme plus réaliste. C'est par exemple le cas lorsqu'une équipe de n-1 et n-2 compose un “shadow cabinet” interne pour simuler le comportement d'un concurrent direct. Outre la stratégie et les indicateurs clés de l'entreprise concurrente, les membres du shadow cabinet s'imprègnent du CV de leur alter ego, afin d'adapter leur comportement à leur formation, leur expérience, leur parcours ou encore leur ancienneté dans l'entreprise. “L'objectif est d'anticiper ce qu'ils pourraient tenter contre nous, d'anticiper leurs mouvements” explique Bertrand Debarge, de m2ie. Pour cela, Guillaume Tissier, de CEIS, ajoute qu'“il est possible de prendre en compte des informations aussi précises que les structures de coût ou la politique de recrutement du concurrent, car toutes ces informations sont disponibles dans l'entreprise, mais dans des services différents. La war room est l'occasion de réunir dans un même lieu toutes ces informations disséminées dans la société”. Pour compléter ces informations en provenance de l'interne, CEIS peut aussi mener des investigations à l'extérieur, en exploitant des sources d'information documentaires ou en menant des missions sur le terrain.

A l'occasion de l'une de ces simulations, BearingPoint a confronté l'un de ses clients dans le secteur informatique à l'attaque d'un concurrent qui cassait les prix. “La première réaction du comité de direction a été de riposter immédiatement, mais cela s'est soldé par un échec, puisqu'il a ainsi détruit une partie de son marché.” L'enseignement s'est révélé utile, car plus d'un an après, la réalité a dépassé la fiction. le concurrent en question a bel et bien cassé les prix du marché. Plutôt que de réagir aussitôt, le client de BearingPoint a campé sur ses positions. “Il s'était fixé un seuil de tolérance de 4 % de perte de parts de marché. Or, le marché ne s'est pas retourné, et notre client n'y a pas perdu de plumes” raconte Jean-Michel Huet.

Jean-Marie Hubert, organisateur du salon I-expo*
“Les réseaux sociaux sont un nouvel outil d'intelligence économique à double tranchant”

Quels acteurs sont concernés par l'information, la veille et la connaissance ?
Tous les acteurs de la vie économique d'une entreprise sont concernés. La compétitivité des sociétés repose sur une surveillance accrue de l'environnement technologique et économique. Les sources traditionnelles et les réseaux sociaux prennent une importance grandissante. A I-expo, les principaux acteurs du marché représentés sont des producteurs d'information du domaine public ou privé. Les firmes ne peuvent plus se contenter d'acquérir l'information, mais doivent également la valoriser via des outils spécifiques de documentation, bibliothèque et médiathèque. Il y a une communication transversale dans tous les services intéressés par ce qui se passe chez les concurrents ou sur le marché. Un effet de communication aura un impact sur les directeurs administratifs et financiers, les directeurs des systèmes d'information et les ressources humaines. Les directeurs de service informatique sont devenus les directeurs de service information, ce n'est pas anodin.

Quel rôle les réseaux sociaux jouent-ils ?
Un rôle primordial. La compétitivité repose sur l'intelligence économique, ainsi que sur la surveillance de l'environnement. Cette surveillance passe aussi bien par la presse que par les bases de données. On peut également y ajouter les réseaux sociaux, à présent considérés comme une source d'informations à part entière. Toute entreprise se doit d'y exercer une surveillance active, cela fait complètement partie de la stratégie globale. Mais c'est une source qui doit être traitée avec beaucoup de précautions, car dans certains cas, ils peuvent être une source de désinformation. Sur ces réseaux, chacun a une totale liberté de dire ce qu'il veut, une extrême vigilance est donc de mise. C'est un nouvel outil à double tranchant. Si le plus grand avantage est l'immédiateté, le plus dur est de vérifier et de recouper l'information.

Les réseaux sociaux permettent d'acquérir et d'analyser des données très rapidement. La firme peut donc immédiatement savoir comment elle est positionnée au niveau de sa réputation, et anticiper les attaques sur celle-ci. On détecte sur les réseaux sociaux des signes qui peuvent être précurseurs. Notamment grâce à un travail d'identification des leaders d'opinion, préalable à une bonne veille. C'est un outil pointu et immédiat. Selon le principe qu'il n'y a pas de fumée sans feu, tout doit être vérifié, du moment que cela peut toucher l'image de la marque. Ils permettent également de conquérir de nouveaux territoires, et de suivre en temps réel l'impact des opérations marketing et de communication, via le nombre de vues ou les commentaires sur YouTube par exemple. C'est également un moyen alternatif de faire de la veille, que ce soit au niveau consommateur, concurrentiel ou RH.

Les PME ont-elles intérêt à se soucier de l'intelligence économique ?
C'est une évidence, oui. Les PME sont concernées par ces démarches, l'information permet de prendre de bonnes décisions et donc d'avoir une compétitivité accrue, et surtout avec un investissement financier minime. Nous cherchons à attirer les dirigeants de PME à I-expo, car ils sont directement concernés. Grâce à Internet, ils peuvent mettre en place des stratégies et se développer. L'intelligence économique n'est absolument pas réservée aux grands groupes.

*13 et 14 juin 2012, Paris-Porte de Versailles.
Nassim Rahmani